Le tailleur de Gloucester

À l’époque des épées, des perruques et des redingotes à revers fleuri – à l’époque où les hommes du monde portaient jabots et gilets de taffetas brodé – vivait un tailleur à Gloucester.

Il était assis en tailleur, sur une table, derrière la vitrine d’une petite boutique dans la rue Westgate, du matin jusqu’au soir.

Toute la journée, tant qu’il y avait encore de la lumière, il cousait et brodait, assemblait son satin, son tissu Pompadour et de la soie ; ces étoffes portaient des noms baroques et elles étaient très chères à l’époque du tailleur de Gloucester.

The Tailor

Mais, même s’il cousait de la soie fine pour ses voisins, il était lui-même très, très pauvre : c’était un petit vieillard à lunettes, au visage pincé et aux vieux doigts recourbés qui portait des vêtements usés. 

Waistcoats for Mice

Il coupait ses manteaux au plus juste, en respectant son étoffe brodée ; il y avait de très petits bouts et chutes de tissu sur la table… « Pas assez grand pour en tirer quoi que ce soit, si ce n’est un gilet pour souris », disait le tailleur.

Well-dressed Miss

Par une journée hivernale proche de Noël, le tailleur a commencé à confectionner un manteau – c’était de couleur cerise, en soie gaufrée, brodée de pensées et de roses, avec un gilet de satin de couleur crème, garni de tulle et de chenille verte – pour le maire de Gloucester.

Le tailleur travaillait d’arrache-pied,  en parlant tout seul. Il a mesuré la soie, l’a retournée et l’a découpée avec ses ciseaux de couture ; la table était toute jonchée de morceaux de soie couleur cerise.

« Pas assez grandes du tout, et coupées sur la croix; pas assez grandes du tout ; des pèlerines pour les souris et des rubans pour les autres ! Allez, pour les souris ! », dit le tailleur de Gloucester.

Lorsque les flocons de neige tombèrent sur les petites vitres et empêchèrent la lumière d’entrer, le tailleur avait terminé sa journée de travail ; toutes les pièces de soie et satin étaient découpées et déposées sur la table.

Waistcoats for Mice

Il y avait douze pièces pour le manteau et quatre pièces pour le gilet ; et il y avait des rabats de poche, des poignets et des boutons au total. Pour la doublure du manteau, il y avait du fin taffetas jaune et pour les boutonnières du gilet, une torsade rouge cerise. Tout était prêt à coudre le lendemain matin, toutes les mesures étaient prises et il ne manquait rien qu’un seul écheveau de soie torsadée rouge cerise. 

Le tailleur sortit de sa boutique à la nuit, car il n’y avait pas dormi ; il ferma la fenêtre, verrouilla la porte et emporta la clef. Personne ne vivait ici la nuit sauf des petites souris brunes, et elles entrèrent et sortirent sans clé ! 

En effet, derrière les plinthes en bois de toutes les vieilles maisons de Gloucester, il y a de petits escaliers pour souris et des trappes secrètes ; et les souris courent de maison en maison à travers ces longs passages étroits. Elles peuvent courir dans toute la ville sans sortir dans les rues. 

Down the Street

Mais, le tailleur sortit de sa boutique et rentra chez lui en marchant dans la neige. Il vivait tout près à College Court, à côté du passage de College Green. Bien que ce ne fût pas une grande maison, le tailleur était si pauvre qu’il ne louait que la cuisine.

Il vivait seul avec son chat qui s’appelait Simpkin. 

Waistcoats for Mice

Pendant que le tailleur était au travail toute la journée, Simpkin gardait la maison tout seul. Il aimait aussi les souris, toutefois, il ne leur donna pas de satin pour en faire des manteaux !

« Miaw, dit le chat quand le tailleur ouvrit la porte, miaw »

Le tailleur a répondu : « Simpkin, un jour nous ferons notre fortune, mais là, je suis usé qu’un vieux tissu. Prends cette pièce  (c’est notre dernière pièce de quatre pence) et prends aussi un pichet en porcelaine : tu vas aller acheter un penny de pain, un penny de lait et un penny de saucisses. Et oh, Simpkin, avec ce qui restera, achète-moi pour un penny de soie couleur cerise. Mais ne perds pas le dernier penny, Simpkin sinon je suis perdu et tout sera râpé, car je n’ai PLUS DE FIL TORSADÉ. »

Asleep by the Fire

Puis, Simpkin a dit encore : « Miaw ! », prit le gruau et le pichet et sortit dans le noir.

Le tailleur était très fatigué et il ne se sentait pas bien. Il s’assit près de la cheminée et se mit à parler tout seul de ce magnifique manteau.

« Je vais faire ma fortune – ça doit être coupé dans le biais – le mariage du maire de Gloucester aura lieu le matin de Noël, et il a commandé un manteau et un gilet brodé – ça doit être bordé de taffetas jaune – j’ai assez de taffetas ; il ne reste plus de chutes pour faire des pèlerines pour les souris… »

Tout à coup, le tailleur sursauta, interrompu dans son discours par des petits bruits qui venaient du vaisselier de l’autre côté de la cuisine :

Tip tap, tip tap, tip tap tip!

« Maintenant, qu’est-ce que ça ? » dit le tailleur de Gloucester en sautant de sa chaise. Le vaisselier était couvert de vaisselle et de pichets, d’assiettes décorées de feuilles de saule, de tasses à thé et de mugs.

Under the tea-cup

Le tailleur traversa la cuisine et s’immobilisa à côté du vaisselier, écoutant et regardant à travers ses lunettes. Les drôles de petits bruits se firent encore entendre sous une tasse de thé…

Tip tap, tip tap, tip tap tip !

« C’est très étrange » a dit le tailleur de Gloucester ; et il souleva la tasse de thé qui était retournée.

Lady Mouse

Une petite Dame Souris pimpante est sortie. Elle fut la révérence du tailleur ! Puis, elle s’enfuit en sautant du vaisselier et disparut sous la plinthe.

Le tailleur se rassit près du feu, il réchauffa ses pauvres mains gelées tout en marmonnant : 

« Le gilet est taillé dans du satin couleur pêche – il faut coudre au point de tambour et placer des boutons de rose de tulle de soie. Étais-je sage de confier ma dernière pièce à Simpkin ? Vingt-et-une boutonnières de fil torsadé couleur cerise ! »

Mais, il y eut, brusquement, d’autres petits bruits provenant du vaisselier :

Tip tap, tip tap, tip tap tip ! 

« C’est extraordinaire ! » dit le tailleur de Gloucester, ainsi, il souleva une autre tasse de thé, qui était retournée.

Gentleman Mouse

Il en sortit un petit Monsieur Souris qui fit une révérence au tailleur !

A ce moment-là, il parvint de tout le vaisselier un chœur de petits bruits qui résonnaient ensemble et se répondaient comme s’il s’agissait des insectes qui viennent de se cogner contre un vieux volet…

Tip tap, tip tap, tip tap tip !

De dessous les tasses à thé, les bols et les bassines, d’autres petites souris s’avancèrent et encore d’autres, qui s’enfuyaient en sautant du vaisselier et disparaissaient sous la plinthe.

More Mice

Le tailleur s’assit, tout près du feu, en se lamentant : « Vingt-et-une boutonnières de soie couleur cerise ! Il faut finir avant samedi midi et on est mardi soir. Est-ce que j’ai eu raison de laisser filer ces souris ? En principe, elles sont pour Simpkin ! Hélas, je suis perdu, je n’ai plus de fil torsadé ! »

Les petites souris ressortirent et écoutèrent le tailleur. Ils ont remarqué le motif de ce magnifique manteau et se parlaient à voix basse de la doublure en taffetas et des pèlerines pour les petites souris.

Après, soudain, elles s’enfuirent toutes ensemble dans le passage derrière la plinthe, en couinant et s’appelant l’une l’autre, courant de maison en maison. Il n’en resta aucune dans la cuisine du tailleur quand Simpkin revint avec le pichet de lait ! 

Simpkin is back

Simpkin ouvrit la porte et bondit à l’intérieur, en émettant un furieux « miaw ! » comme un chat vexé : il détestait la neige et il avait de la neige dans ses oreilles et dans son collier, derrière son cou. Il posa le pain et les saucisses sur le vaisselier et renifla.

« Simpkin, dit le tailleur, où est mon fil torsadé ? »

Mais, Simpkin posa le pichet de lait sur le vaisselier et regarda les tasses à thé d’un air méfiant. Il voulait une petite souris grasse pour son dîner !

« Simpkin,  dit le tailleur, où est mon FIL ? »

Hiding the Twist

Mais, Simpkin a caché un petit paquet discrètement dans la théière et il a craché et grogné sur le tailleur. Si Simpkin avait pu parler, il aurait demandé : « Où est ma SOURIS ? 

« Hélas, je suis perdu ! » dit le tailleur de Gloucester et il se mit au lit tristement.

Toute la nuit, Simpkin chassa et fouilla partout dans la cuisine, jetant un coup d’œil dans les placards et sous la plinthe et dans la théière où il avait caché le fil torsadé ; mais il n’a jamais trouvé une souris !

Chaque fois que le tailleur marmonnait et parlait dans son sommeil, Simpkin répondait : « Miaw-ger-rwss-ch ! » et faisait d’étranges bruits horribles, comme font les chats la nuit.

En fait, le pauvre vieux tailleur était très malade. Il avait une forte fièvre, se tournant et se retournant dans son lit à baldaquin. Dans ses rêves il marmonnait : « Plus de fil ! Plus de fil ! »

Il fut malade toute la journée, le lendemain et encore le jour suivant. Qu’allait-il advenir du manteau couleur cerise ? Dans la boutique du tailleur de la rue Westgate, la soie et le satin brodés étaient découpés sur la table – avec les vingt-et-une boutonnières. Qui donc allait les coudre, quand la fenêtre était fermée et la porte verrouillée ?

Sewing

Mais, cela n’empêche pas les petites souris brunes d’en passer : elles n’ont pas besoin de clé pour faufiler dans toutes les vieilles maisons de Gloucester !

Tailor is Ill

Dehors, sur le marché, les gens pataugeaient dans la neige pour acheter leurs oies et dindes et pour préparer leurs tartes de Noël. Mais, il n’y aurait pas de dîner de Noël pour Simpkin et le pauvre vieux tailleur de Gloucester.

Le tailleur resta malade pendant trois jours et trois nuits. C’était la veille de Noël, la nuit se fit profonde. La lune s’élevait au-dessus des toits et des cheminées et dominait le passage qui menait à College Court. Il n’y avait ni de lumière aux fenêtres, ni de bruit dans les maisons ; toute la ville de Gloucester était profondément endormie sous la neige.

Simpkin cherchait encore ses souris et il miaulait à côté du lit baldaquin.

Simpkin Leaves the House

Mais, l’ancienne histoire le dise : toutes les bêtes peuvent parler pendant la nuit de Noël, bien qu’il y ait très peu de gens qui peuvent les entendre, ou comprendre ce qu’ils disent). 

Lorsque l’horloge de la cathédrale sonna minuit, une réponse se fit entendre, comme un écho de carillons, et Simpkin l’entendit. IL sortit de chez le tailleur et erra dans la neige.

De tous les toits, les pignons et les vieilles maisons en bois de Gloucester, ils parvinrent mille voix joyeuses qui chantaient les anciens chants de Noël – toutes les vieilles chansons que je connais ainsi que celles que je ne connais pas, telles les cloches de Dick Whittington.

Simpkin in the Snow

D’abord, les coqs ont crié au plus fort : « Madame, lève-toi et fais cuire tes tartes ! »

« Oh, dilly, dilly, dilly! » soupira Simpkin.

Maintenant, dans un grenier, des lumières s’allumèrent, des bruits de danse se firent entendre et des chats venaient de partout.

« Hey, diddle, diddle, le chat et le violon ! Tous les chats de Gloucester sont là-bas sauf moi », a déclaré Simpkin.

Sous les avancées des toits en bois, les étourneaux et les moineaux gazouillaient à propos des tartes de Noël ; les corneilles se réveillaient dans la tour de la cathédrale ; et même si on était au beau milieu de la nuit, les grives et les rouges-gorges chantaient, l’air vibrait de gazouillis.

Hungry Simpkin

Mais, tout cela était plutôt provoquant pour le pauvre Simpkin affamé !

En particulier, il était vexé de quelques petites voix aiguës derrière un treillis en bois. Je pense que c’étaient des chauves-souris, parce qu’elles ont toujours de très petites voix — surtout quand il gèle la nuit et qu’elles parlent dans leur sommeil, comme le tailleur de Gloucester.

Elles tenaient des propos mystérieux, ça ressemblait à ça :

« Buz, dit la mouche bleue, hum, dit l’abeille,

Buz et hum, c’est ce qu’elles crient et nous aussi ! »

Simpkin s’en alla en secouant les oreilles comme s’il avait une abeille dans son bonnet.

Chattering Mice

Dans la boutique du tailleur de Westgate, il apparaît une lueur lumière. Quand Simpkin s’est glissé pour jeter un coup d’œil à la fenêtre, il vit plein de bougies. Il y avait un bout de ciseaux et un bout de fil ; et des chants de petites souris raisonnaient fortement et gaiement :

« Vingt-quatre tailleurs partirent tôt, 

Chasser un escargot. 

Mais le meilleur d’entre eux 

N’osa même pas toucher sa queue. 

Là, l’escargot sortit les cornes, dressées 

Comme celles d’un taureau écossais. 

Fuyez, tailleurs, fuyez ! 

Sinon il va vous attraper ! »

Puis, sans s’arrêter, les petites voix de souris enchainèrent :

« Allons tamiser l’avoine 

De la maîtresse de maison, 

Allons moudre sa farine 

Mettons-la dans un marron, 

Laissons reposer une heure 

Notre belle préparation… »

Simpkin Cannot Get In

«  Miaou ! Miaou ! » interrompit Simpkin et il gratta à la porte. Mais la clé était sous l’oreiller du tailleur, il ne pouvait pas entrer.

Les petites souris se mirent à rire et à chater un autre air :

« Trois petites souris se sont assises pour filer,

Minou passa par là et jeta un coup d’œil.

Que faites-vous ici, mes bons petits hommes ?

On coude des manteaux pour messieurs.

Est-ce que je peux entrer ?

Je vais vous aider !

Oh, non, Minou, vous pourriez nous arracher la tête ! »

« Miaou ! Miaou ! » s’écria Simpkin. « Hey, diddle dinketty ? » répondirent les petites souris :

« Digue-digue-don ! », répondirent les petites souris. 

« Digue-digue-don ! Il faut que ça bouge !

Les marchands de Londres s’habillent tout en rouge. 

De la soie au col et de l’or à l’ourlet,

Tous les marchands anglais marchent donc joyeusement ! »

Clicking Thimbles

Les dés à coudre cliquetaient en rythme, mais aucune des chansons n’a plu à Simpkin. Il reniflait et miaulait à la porte de la boutique.

« Et puis j’ai acheté

Un pichet et une pichenette,

Un gobelet et une pirouette,

Le tout pour un sou… »

« C’est sur le vaisselier de la cuisine ! » ajoutèrent les grossières petites souris.

« Miaou ! » miaula Simpkin en grattant sur le rebord de la fenêtre, tandis que les petites souris à l’intérieur sautaient sur leurs pieds, et toutes se mettaient à crier à la fois d’une petite voix aigüe : « Plus de fil ! Plus de fil ! Et elles fermèrent les volets des fenêtres pour que Simpkin ne les voie plus.

Mais, toujours à travers les entailles des volets, il pouvait entendre le cliquetis des dés à coudre et les petites voix de souris qui chantaient :

« Plus de fil ! Plus de fil ! »

Sleeping Peacefully

Simpkin s’éloigna de la boutique et rentra chez lui, tout songeur. Il trouva le pauvre vieux tailleur qui n’avait plus de fièvre, dormant paisiblement.

Alors Simpkin marcha sur la pointe des pieds et sortit un petit paquet de soie de la théière. Il le regarda au clair de lune. Il avait bien honte de sa méchanceté en réfléchissant à ces bonnes petites souris !

Quand le tailleur se réveilla le matin, la première chose qu’il vit sur la courtepointe en patchwork fut un écheveau de soie torsadée de couleur cerise. Et à côté de son lit se tenait Simpkin repenti !

Back to the Shop

« Hélas ! Je suis complètement râpé, a déclaré le tailleur de Gloucester, mais j’ai mon fil ! »

Le soleil brillait sur la neige lorsque le tailleur se leva, s’habilla et sortit dans la rue avec Simpkin qui courait devant lui.

Les étourneaux sifflaient sur les souches de cheminée, et les papillons et les rouges-gorges chantaient, mais c’étaient leurs propres petits bruits, pas les mots qu’ils avaient chantés dans la nuit.

« Hélas, dit le tailleur, j’ai mon fil, mais je n’ai plus de force – ni de temps, afin de faire une seule boutonnière. C’est le matin de Noël ! Le maire de Gloucester se marie à midi, où est son manteau couleur cerise ? »

Il déverrouilla la porte de la petite boutique dans la rue de Westgate, et Simpkin entra en courant, comme un chat qui attend quelque chose.

Mais, il n’y avait personne ! Pas même une petite souris brune !

Les planches ont été balayées; les petits bouts de fil et les petits morceaux de soie étaient tous rangés et avaient disparu du sol.

Beautifullest Coat

Mais, sur la table, quel plaisir ! Le tailleur poussa un cri de joie : là où il avait laissé de simples coupes de tissu se trouvaient le manteau et le gilet de satin brodé. c’étaient les plus merveilleux qu’un maire de Gloucester n’avait jamais portés.

No More Twist

Il y avait des roses et des pensées sur le devant de manteau et le gilet avait été travaillé avec des coquelicots et des bleuets.

Tout était fini, sauf une seule boutonnière couleur cerise, et à cet endroit, on avait épinglé un bout de papier avec ces mots, écrit en petite lettres :

PLUS DE FIL

Et à partir de là, commença la période de chance du tailleur de Gloucester : il est devenu assez gros et il est devenu assez riche.

Ruffles and Cuffs

Il a fait de merveilleux gilets pour tous les riches marchands de Gloucester et pour tous les beaux gentilshommes du pays.

On n’a jamais vu de tels volants, ni de telles manchettes ni de tels revers brodés ! Mais ses boutonnières étaient son plus grand triomphe.

Les points de ces boutonnières étaient parfaits, vraiment parfaits ! Je me demande comment un vieil homme à lunettes, pouvait les coudre, avec de vieux doigts tordus et juste un dé à coudre de tailleur. 

Les points de ces boutonnières étaient si petits qu’on aurait dit qu’ils avaient été faits par de petites souris !


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